SP4.2 : Les motivations de l’engagement politique en démocratie
SOCIOLOGIE ET SCIENCE POLITIQUE
SP4 : LES FORMES ET MOTIVATIONS DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE EN DEMOCRATIE
SP4.2 : LES MOTIVATIONS DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE EN DEMOCRATIE
Questionnements |
Objectifs d’apprentissage |
Comment expliquer l’engagement politique dans les sociétés démocratiques ? |
-Comprendre pourquoi, malgré le paradoxe de l’action collective, les individus s’engagent (incitations sélectives, rétributions symboliques, structure des opportunités politiques). SP421
-Comprendre que l’engagement politique dépend notamment de variables sociodémographiques (catégorie socioprofessionnelle, diplôme, âge et génération, sexe). SP422
6 heures |
SP421 : L’ENGAGEMENT POLITIQUE : UN ACTE INDIVIDUEL
Comprendre pourquoi, malgré le paradoxe de l’action collective (A), les individus s’engagent (incitations sélectives, rétributions symboliques, structure des opportunités politiques) (B).
4h
A) Qu'est-ce que le paradoxe de l’action collective ?
« Logique de l'action collective » est un livre de Mancur Olson publié en 1965.
En tant qu’économiste convaincu de la pertinence épistémologique du concept d’homo oeconomicus, l’auteur est attaché à la notion de rationalité de l’individu, qui n’agit qu’en fonction d’une comparaison coûts/avantages : l’individu recherche essentiellement à servir ses intérêts, quels qu’ils soient, n’écartant toutefois pas la possibilité qu’il puisse agir parfois en vertu de motivations irrationnelles.
L’individu adhère à un groupe pour tirer profit de l’association. Son engagement va donc dépendre d’un calcul entre les coûts et les avantages attendus de l’action collective.
L’engagement dans l’action collective |
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Avantages |
Coûts |
Réussite de la mobilisation : gains en salaire, en reconnaissance, en droits, en réformes, … |
Pertes de revenus, pertes de temps, risque de considération ou de stigmatisation, … |
Selon les coûts qu’il subit et les avantages espérés, l’individu peut faire plusieurs choix :
- Les coûts sont supérieurs aux gains espérés : l’individu s’abstient de participer à l’action collective.
- Les coûts sont inférieurs aux gains espérés : on peut s’attendre à ce que l’individu s’engage.
Le paradoxe de l’action collective est le suivant : même si les gains espérés sont supérieurs aux coûts et même si l’individu adhère aux revendications de l’action collective, il peut s’abstenir.
Il opte alors pour une position de « passager clandestin » : comme les gains obtenus par l’action collective seront distribués à tous et notamment aux non participants, il est avantageux de ne pas s’engager pour obtenir le plus d’avantages pour le moins de risques encourus. Paradoxalement, Le calcul rationnel ne conduit pas à défendre les intérêts du groupe. Ce paradoxe a aussi un sens collectif : un groupe ayant avantage à se mobiliser et en ayant conscience peut parfaitement ne rien faire.
On est tous le passager clandestin de quelqu'un !
https://www.youtube.com/watch?v=I-_lE1HPUX4
Le paradoxe* de l’action collective peut-être énoncé ainsi : personne n’a donc individuellement intérêt à agir, alors que tous y ont, collectivement, intérêt.
ou :
Un groupe d'individus présentant un intérêt commun peut très bien échapper à l'action collective si chaque individu se comporte de manière rationnelle et individuel selon ses intérêts propres.
Les exemples en sont nombreux, de l’employé non syndiqué qui profite des augmentations de salaire obtenues par le syndicat, au contribuable qui envoie ses enfants à l’école publique mais qui ne déclare pas tous ses revenus imposables.
Si le concept du passager clandestin permet d’expliquer le faible taux de syndicalisation dans les entreprises, par exemple, il se heurte néanmoins au constat simple de son existence, malgré tout. Comment expliquer les adhésions, aussi peu nombreuses soient-elles ?
B) Pourquoi les individus s'engagent-ils ?
Incitations sélectives, rétributions symboliques, structure des opportunités politiques
Dans cette section, nous allons qu’on peut dépasser le paradoxe de l’action collective en restant dans une logique de choix individuel basé sur un calcul d’intérêt.
=> Les incitations sélectives améliorent l’engagement
Le modèle d’Olson s’enrichit alors de la notion d’incitations sélectives : on peut chercher à diminuer les coûts de participation à l’action ou augmenter de ceux de la non-participation.
Les incitations sélectives peuvent être dues à des prestations et avantages accordés aux membres de l’organisation, elles peuvent aussi prendre la forme de la contrainte. Le cas le plus clair est le système dit du closed-shop, longtemps pratiqué en France par le syndicat du livre CGT ou celui des dockers : l’embauche est conditionnée par l’adhésion à l’organisation, ce qui élimine tout passager clandestin.
=> Les rétributions symboliques
L’approche d’Olson s’appuie sur un calcul dans lequel les avantages attendus sont essentiellement « matériels ». Elle semble sous-estimer des rétributions (= récompenses) plus symboliques. Dans l’action collective, le militant n’espère pas seulement une amélioration de sa situation objective (salaires, conditions de travail, promotion, reconnaissance, droits, …) par la mobilisation, il peut y avoir d’autres gains attendus qui tiennent au caractère collectif de l’action, du sentiment de participer à un projet stimulant ou la reconnaissance des autres dans l’engagement.
DOCUMENT 8 : Les rétributions symboliques du militantisme
Le sentiment de ne pas subir, d'agir en faveur d'une juste cause, de transformer ou de pouvoir transformer la réalité, parfois de faire l'histoire, donne ou conforte des raisons de militer. Le temps donné, les efforts consentis, les renoncements aux plaisirs de la vie « ordinaire », les sacrifices prodigués, les risques parfois endurés, les dons de soi, peuvent aider à trouver l'apaisement, la sérénité, la plénitude, et diverses satisfactions morales, jusqu'au sentiment de supériorité éthique (…).
Les militants ont aussi des occasions de s'informer et d'entrer (plus ou moins) dans les grands débats à propos des affaires de la cité et du monde. Des militants parviennent ainsi à compenser, ne serait-ce que partiellement, leurs handicaps scolaires et culturels, à combattre leurs sentiments d'ignorance, d'indignité culturelle, d'incompétence politique ou de mésestime personnelle, et à atténuer les stigmatisations dont ils souffrent. D'aucuns se réjouissent de leur enrichissement intellectuel et racontent leur éblouissement devant la découverte de la culture (légitime) favorisée par le militantisme. L'engagement militant peut donner l'occasion d'exercer des rôles sociaux gratifiants et contribuer à l'affirmation et à la valorisation de soi. Pour les plus investis, le militantisme est encore un espace de sociabilité, d'intégration, d'amitié, parfois de vie amoureuse, de convivialité et de loisir. L'attachement à une cause et la satisfaction de défendre des convictions donnent un sens à la vie et à l'activité de beaucoup de militants. De leur point de vue, les autres satisfactions passent inaperçues ou viennent en sus, de manière accessoire. Dans cette perspective, l'adhésion ne peut pas s'expliquer par le seul calcul rationnel de chances de profit. Il y a bien des comportements « cyniques » dans les univers militants et leur fréquence est peut-être en augmentation. Il n'en résulte pas que tous les comportements le soient.
Daniel Gaxie, Les rétributions du militantisme, Université Paris 1 – CESSP, 2017 : https://www.politika.io/fr/notice/retributions-du-militantisme
Questions :
1) Présenter le document.
2) Relever dans ce texte toutes les rétributions possibles du militantisme. Pourquoi sont-elles « symboliques » ?
3) Pourquoi ces constats nuancent l’approche d’Olson ?
=> La structure des opportunités politiques
Le concept de structure des opportunités politiques (SOP) rend compte de l’environnement politique auquel sont confrontés les mouvements sociaux, et qui peut selon la conjoncture exercer une influence positive ou négative sur leur émergence et leur développement.
L’idée des SOP est donc que la réalité, la force et le potentiel de gain d’une action collective ne dépend pas que du groupe lui-même mais également des circonstances favorables ou défavorables qui entourent le mouvement. Elle met en avant le contexte politique comme catalyseur ou répresseur des mobilisations.
Manifestation pour Adama Traoré : l'exécutif interpellé
https://www.youtube.com/watch?v=VfXMMBRauZU
Journée de mobilisation des soignants: la population ne semble pas prête à suivre le mouvement
https://www.youtube.com/watch?v=hB_1OEG9u7Y
https://www.youtube.com/watch?v=5s-ttHNJRFQ
Ces opportunités peuvent être :
- Un accès plus facile aux décisions politiques : l’opinion soutient un mouvement ce qui amène les décideurs à réagir rapidement.
Comment gagner la bataille de l'opinion publique sur la grève :
https://www.youtube.com/watch?v=hKN5nHbtx3w
- L'instabilité des opinions au sein des élites (voire un conflit entre elles) :
Violences policières: à gauche et à droite, les deux visions s'affrontent dans les médias : https://www.youtube.com/watch?v=sbvQ-WxssgM
- Un accès aux élites grâce à des alliés influents ; -
Quand le lobby du vin entre à l'Élysée
https://www.youtube.com/watch?v=EhmZLvTcxvA
- Un pouvoir politique local et/ou national peu présent ou répressif.
Les premiers gilets jaunes à rencontrer des parlementaires créent le désarroi : https://www.youtube.com/watch?v=2v5i21l61WQ
Conclusion : ces éléments nuancent l’approche strictement individuelle et utilitariste de Mancur Olson. Si l’engagement politique résulte bien d’un choix libre pour lequel l’individu évalue les enjeux, on ne peut pas limiter ces choix à un simple calcul coûts/avantages où seuls les éléments matériels seraient pris en compte.
L’engagement dans un collectif de lutte peut ainsi dépasser les simples calculs individuels. L’engagement politique est aussi un acte collectif.
Sources utilisées :
http://www.forum-scpo.com/science-politique/mancur-olson-logique-action-colletctive.htm
http://webetab.ac-bordeaux.fr/Pedagogie/ECJS/Premiere/accomptheme2ficheres1.htm
http://www.apses.org/IMG/pdf/Cours_Engagement_politique__final_.pdf
https://www.politika.io/fr/notice/retributions-du-militantisme
https://www.cairn.info/dictionnaire-des-mouvements-sociaux--9782724611267-page-530.htm https://fr.wikipedia.org/wiki/Structure_des_opportunit%C3%A9s_politiques
SP422 : L’ENGAGEMENT POLITIQUE : UN ACTE COLLECTIF
Comprendre que l’engagement politique dépend notamment de variables sociodémographiques (catégorie socioprofessionnelle, diplôme, âge et génération, sexe).
2h
Quelles sont les variables sociodémographiques qui influencent l’engagement politique ?
L’engagement politique ne peut pas s’expliquer uniquement par des motivations individuelles : il existe des facteurs sociaux qui peuvent aussi l’influencer. Cela signifie que l’appartenance à un groupe social va modeler les formes et les motivations de la participation politique.
Rappels de PREMIERE : le vote, un acte individuel et collectif
La science politique s’intéresse aux motivations individuelles du vote et aux effets de contexte. Elle considère l’hypothèse d’un électeur rationnel, qui voterait pour le parti lui offrant le plus d’avantages personnels et le moins de désagréments. Dans cette approche, la décision d’aller voter chez un acteur rationnel doit reposer sur un calcul d’utilité.
=> un acte collectif ?
Le choix électoral est aussi prédéterminé par l’appartenance sociale, résulte de la mise en conformité du vote avec les normes du groupe et procède plus d’une logique collective que d’une décision individuelle : des structures économiques et sociales composent l’environnement politique des électeurs depuis leur enfance ; famille et activité, lieu de résidence, appartenance religieuse, groupe ethnique n’influencent pas directement le vote, mais façonnent les identités et les valeurs des individus ; ces structures fondent une attirance pour un parti et construisent sur le temps long une identification partisane.
Voter : une affaire individuelle ou collective ? (SES 1re) :
https://www.youtube.com/watch?v=gGCUltz0Ljg
Illustration : Vote et religion
En 2012, François Hollande a obtenu 38% des suffrages des catholiques pratiquants, 42% des catholiques non-pratiquants, 52% des votants d'une autre religion hors islam, 64% des votants sans religion et 91% des votes parmi les musulmans (Données issues de sondages post-élections CEVIPOF).
Dans cette section, nous allons voir 4 déterminants de l’engagement politique à l’aide de l’étude de l’adhésion aux associations :
Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1280946
1) L’influence de l’appartenance à une catégorie socioprofessionnelle :
Taux d’adhésion à différents types d’associations selon la catégorie socioprofessionnelle en 2008 (Tableau 4) :
Ce sont les personnes qui ont un emploi et les retraités qui adhèrent le plus souvent (respectivement 35 % et 34 %). Les personnes au chômage adhérent peu à une association (17 %) et les personnes au foyer se trouvent dans une situation intermédiaire (23 %). Parmi les personnes qui travaillent, la proportion d’adhérents est la plus faible chez les ouvriers, les artisans et les employés. Et ce, quel que soit le type d’association.
Les cadres et les professions intermédiaires sont les plus nombreux à adhérer. Comme c’est le cas pour les personnes habitant en milieu rural ou dans les petites agglomérations, les agriculteurs ont un taux d’adhésion élevé (35 %) qui se caractérise par une forte participation à des syndicats. Ils sont également les plus présents dans les associations de loisirs et de défense de droits et d’intérêts communs, ainsi que dans les associations à caractère religieux ou environnemental.
2) L’influence du diplôme :
Taux d’adhésion selon le niveau de diplôme en 2008 (Graphique 1) :
Champs : France métropolitaine, *personnes dont l’âge est strictement supérieur à 59 ans ; ** personnes occupant un emploi, chômeurs et retraités.
Source : Insee, enquête SRCV-SILC 2008.
Dans tous les types d’associations, excepté les clubs de 3e âge, l’engagement associatif progresse avec le niveau de diplôme : 45 % des diplômés du supérieur sont adhérents contre seulement 18 % des personnes sans diplôme. L’exception des clubs du 3e âge s’explique en partie par un effet de génération : les personnes qui fréquentent ces clubs font en effet partie de générations dans lesquelles la proportion de bacheliers était nettement moins élevée qu’aujourd’hui. Le nombre d’associations auxquelles on adhère progresse également avec le niveau d’études.
3) L’influence de l’âge et de la génération :
Taux d’adhésion selon l’âge et le sexe pour certains types d’associations en 2008 (Tableau 1)
L’adhésion aux associations augmente avec l’âge : de 26,3 % pour les 16-24 ans, le taux d’adhésion progresse pour atteindre 36,9 % chez les 60-74 ans. Il décroît ensuite nettement chez les personnes de 75 ans et plus (27,6 %), qui adhèrent principalement aux associations du 3e âge. Ce profil par âge se retrouve pour les associations culturelles, de loisirs et celles à caractère sanitaire et social.
Les associations sportives, quant à elles, attirent plutôt les jeunes : 17,1 % des 16-24 ans contre 10,7 % des 60-74 ans et 3 % au-delà de 75 ans. C’est d’ailleurs le seul type d’association où les jeunes sont massivement présents.
Champ : France métropolitaine, personnes ayant un emploi.
Source : Insee, enquête SRCV-SILC 2008.
4) L’influence du sexe :
Taux d’adhésion selon l’âge et le sexe pour certains types d’associations en 2008 (Tableau 1)
Tous types d’associations confondus, les hommes adhèrent plus aux associations que les femmes : 35,6 % contre 29,9 %. Ils se tournent de préférence vers les associations sportives, de loisirs et les associations en lien avec leur vie professionnelle. C’est pour les associations sportives que l’écart est le plus net : 15,4 % des hommes y adhèrent contre 9,5 % des femmes. Les femmes adhèrent plus souvent aux associations à but social : 3e âge, défense de droits et d’intérêts communs comme les associations de parents d’élèves.
Ces constats doivent être complétés par l’étude d’autres formes d’engagement politique, comme le militantisme ou le bénévolat :
L'engagement bénévole des Français en 2019 :
https://blog.assoconnect.com/articles/39638-infographie-l-engagement-benevole-des-francais-en-2019
Qui s'engage aujourd'hui ?
Tableau 3 - Les déterminants des engagements selon les organisations
https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2008-1-page-102.htm
ANNEXE - Présidentielles 2017 : qui a voté qui ?
https://www.ipsos.com/fr-fr/1er-tour-presidentielle-2017-sociologie-de-lelectorat
https://harris-interactive.fr/opinion_polls/presidentielle-2022-1er-tour-sociologie-du-vote/
https://www.ipsos.com/fr-fr/presidentielle-2022/second-tour-profil-des-abstentionnistes-et-sociologie-des-electorats