SP1.2 : Classes et stratification sociale
SOCIOLOGIE ET SCIENCE POLITIQUE
SP1 : STRUCTURES ET CLASSES SOCIALES DANS LA SOCIETE FRANCAISE ACTUELLE
SP1.2 : CLASSES ET STRATIFICATION SOCIALE
Questionnements |
Objectifs d’apprentissage |
Comment est structurée la société française actuelle ? |
- Connaître les théories des classes et de la stratification sociale dans la tradition sociologique (Marx, Weber); SP121
Comprendre que la pertinence d’une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française fait l’objet de débats théoriques et statistiques : évolution des distances inter-et intra-classes, articulation avec les rapports sociaux de genre, identifications subjectives à un groupe social, multiplication des facteurs d’individualisation. SP122
1 semaine (6h) |
SP121 : THEORIES DES CLASSES ET DE LA STRATIFICATION SOCIALE
Connaître les théories des classes et de la stratification sociale dans la tradition sociologique (Marx A, Weber B)
2h
A) Quelle est l’approche des classes sociales de Karl Marx ?
Karl Marx (1818-1883), philosophe, économiste et sociologue militant allemand et révolutionnaire. Il est à l'origine d'un ensemble de thèses connues sous le nom de "marxisme" : Le Capital (1867) et Le Manifeste du ¨Parti Communiste (1848), co-écrit avec Engels.
Marx décrit la notion de classe sociale dans le cadre des sociétés qui émergent avec la révolution industrielle (fin XVIIIème – début XIXème siècle).
Dans les sociétés industrielles, les individus occupent une place dans l'organisation économique : ils vendent leur force de travail (travailleurs) ou disposent d'une accumulation de capital (capitalistes). Economiquement, le capital exploite le travail : la valeur des marchandises produites grâce au travail est supérieure à la rémunération qu'obtient le travail (le salaire). Cette différence est accaparée par le capitaliste : c'est la plus-value. Parce que c’est le capital qui exploite le travail, on parlera de sociétés « capitalistes ».
Suivant ce rôle économique, ils sont exploités ou exploiteurs : le système capitaliste est une organisation économique qui repose sur l'exploitation du travail par le capital. Ces fonctions économiques déterminent les positions sociales (« rapports sociaux de production ») entre dominés et dominants.
Ces éléments ne suffisent pas pour définir une classe sociale : pour que les dominés ou les dominants se constituent en classe sociale, il faut que les individus prennent conscience (« prise de conscience ») de leur situation et décident de s'organiser (mobilisation) pour défendre cette position (conservateurs) ou pour la contester (révolutionnaires).
On définira une classe sociale* au sens de Marx comme un ensemble d'individus qui occupent un certain rôle dans le système de production et la société, ont pris conscience de ce rôle et se mobilisent pour le conserver ou le renverser.
Le moment de la prise de conscience est capital puisqu'il permet de passer de la simple appartenance à un groupe homogène (classe en soi) à l'organisation de la classe sociale comme centre de la mobilisation pour défendre ses intérêts (classe pour soi).
Dans cette approche, c’est donc la conscience de classe qui va structurer l’antagonisme entre les classes sociales. Pour Marx, la société capitaliste se caractérise par une lutte des classes entre la Bourgeoisie et le Prolétariat :
- la Bourgeoisie regroupe les capitalistes qui ont pris conscience de l'exploitation capitaliste et qui se regroupent pour conserver les structures sociales et politiques (superstructure) qui maintiennent cette exploitation (droit de la propriété privée, droit de propriété de la production, propriété des moyens de production, interdiction des syndicats et de la grève, libéralisation du marché du travail, ...).
- le Prolétariat regroupe les travailleurs qui ont pris conscience de leur exploitation et qui s'organisent pour changer les conditions de la société, favorables à la bourgeoisie.
https://www.youtube.com/watch?v=1pYmqDnvTh8
MARX annonce la fin du capitalisme : à mesure que le capitalisme se développe, la concurrence s'étend au détriment de la réalisation de la plus-value. Pour préserver leurs profits, les capitalistes sont amenés à baisser les salaires, ce qui produit deux conséquences : la consommation s'affaiblit, au détriment des profits ; les travailleurs sont plus nombreux à prendre conscience de leur exploitation et mener la révolution prolétarienne qui mettra fin au système d'exploitation capitaliste.
B) Quelle est la théorie de la stratification sociale de Max Weber ?
Max Weber (1864-1920) est un sociologue allemand et un des pères fondateurs de la sociologie, comme Durkheim en France.
Il définit les classes sociales* comme les groupes formés d'individus qui ont la même la possibilité de se procurer des biens ou des services. La classe sociale est donc pour ce sociologue un phénomène économique. C'est un agrégat d'individus présentant un certain nombre de caractéristiques économiques communes sans pour autant que ces individus aient conscience d'appartenir à ce groupe.
Mais pour Weber, contrairement à Marx, ces différenciations économiques ne suffisent pas pour hiérarchiser les groupes sociaux car il y a d'autres domaines, d'autres strates, qui structurent la hiérarchie sociale. Il distingue ainsi dans la société 3 sortes de hiérarchies qui correspondent à 3 strates : l'ordre économique, l'ordre social et l'ordre politique.
1 Les classes sont déterminées par l'ordre économique et les biens détenus par les groupes d'individus.
2 Les groupes de statut sont déterminés par l'ordre social : considération définie par le degré de prestige dont bénéficie un groupe du fait de sa position sociale mutuellement reconnue par les individus. L'échelle de prestige dans une société peut être en rapport avec le diplôme, les capacités physiques, la profession, ... Elle dépend des valeurs que reconnait la société.
Un groupe de statut est un groupe social dont les membres disposent d'un même degré de prestige social associé à leur statut social. Le statut social dépend lui-même de plusieurs facteurs, Weber en identifie quatre : la naissance, la profession, l'instruction et le style de vie.
Les groupes de statuts bénéficiant des positions les plus avantageuses cherchent souvent à marquer leur distinction sociale en partageant les mêmes qualités, styles de vie, goûts, valeurs, habitudes vestimentaires, etc ...
3 Le parti est déterminé par l'ordre politique.
Il s'agit de regroupements d'individus autour d'un même projet politique pour la conquête et l'exercice du pouvoir politique.
Qu'est-ce qu'une classe sociale ? (A partir de 2'44)
=> Qu'est-ce qui distingue ces 2 approches ?
Weber reconnaît donc qu'il y a une situation de classe dans une perspective économique, mais, cette classe ne peut définir à elle seule la position sociale d'un groupe ou d'un individu. Il faut compléter cette approche économique par une prise en compte des autres positions du groupe ou de l'individu dans les ordres social et politique. Un individu ou un groupe peut ainsi être économiquement « dominé » mais bénéficier d'un fort prestige comme l'exemple de la noblesse ruinée. La "classe sociale" n'est donc pour Weber qu'une caractéristique économique, donc restreinte, de l'individu, caractéristique qui ne débouche pas forcément sur une "conscience" de classe.
Pour Weber, les « classes sociales » ne sont donc pas forcément en situation de conflictualité ou d'antagonisme comme le montrait Marx (vision verticale de la lutte des classes). Elles peuvent être juxtaposées (vision horizontale en strates).
La vision en strates sous-entend que les couches sociales qui sont perméables, favorisant ainsi une mobilité sociale. On étudiera la structure sociale en termes de stratification sociale* c'est-à-dire un ensemble de strates regroupées en fonction de critères multiples (ex : le revenu, le prestige, etc.) et qui n'entretiennent pas entre elles des relations dominées par le conflit.
Cette approche de la structure sociale s'oppose à celle en termes de classes sociales au sens de Marx qui met l'accent sur la distance entre les groupes sociaux aux intérêts opposés radicalement, caractéristique d'une société conflictuelle. Marx raisonne en termes de hiérarchie sociale (dominants/dominés).
Ces deux analyses demeurent fondatrices en ce qu'elles posent les termes des débats contemporains autour de la structure sociale.
SP122 : PERTINENCE DE L’APPROCHE EN TERMES DE CLASSE (DEBATS)
Comprendre que la pertinence d’une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française fait l’objet de débats théoriques et statistiques : évolution des distances inter-et intra-classes (A), articulation avec les rapports sociaux de genre (B), identifications subjectives à un groupe social (A), multiplication des facteurs d’individualisation (B).
4h
Méthode : « Comprendre que la pertinence d’une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française fait l’objet de débats théoriques et statistiques »
=> Dans quelle mesure le concept de « classe sociale » est-il toujours pertinent pour analyser la structure sociale dans la France actuelle ?
DISCUSSION
L'analyse de Weber peut sembler aujourd'hui plus actuelle que celle de Marx, dans la mesure où elle est plus ouverte : le fait que Weber multiplie les critères de classification dans son approche de la stratification sociale fait que son approche est moins remise en cause par la dynamique de la structure sociale au cours du 20ème siècle.
De plus, sa vision plus horizontale de la stratification sociale suggère la possibilité d'une mobilité sociale plus ou moins intense qui correspond quand même aux mutations internes des sociétés démocratiques modernes.
Dans le cadre de cette section de DEBATS, nous verrons plusieurs arguments présents dans le programme qui tendent à questionner la notion de classe : évolution des distances inter-et intra-classes (A), articulation avec les rapports sociaux de genre (B), identifications subjectives à un groupe social (A), multiplication des facteurs d’individualisation (B).
A) Distances inter-et intra-classes et identifications au groupe
=> L'évolution des distances inter et intra-classes marque-t-elle la fin des classes sociales ?
Pour remettre en perspective la notion de classe, il faut identifier 2 types de mouvement qui caractérisent la société française :
- On assiste pendant « les 30 glorieuses » (1945-1975) à une moyennisation de la société française : les écarts entre les classes sociales ou « distances inter-classes » se seraient réduits. Les distances inter-classes* désignent donc les écarts de revenus, de consommation et de modes de vie entre les classes sociales dans la société française.
- Mais il faut aussi prendre en compte les écarts à l’intérieur des catégories sociales : derrière l’appellation « Ouvrière », par exemple, il peut y avoir une fragmentation des statuts selon le type de contrat, l’âge, le statut de l’employeur, la qualification, le secteur d’activité, … qui font que la catégorie « ouvrière » perd en homogénéité. On assiste alors à un creusement des « distances intra-classes* », c’est-à dire des écarts de revenus, de consommation et de statuts à l’intérieur d’une même classe sociale.
=> Pour certains sociologues, la moyennisation de la société française pendant les 30 glorieuses a contribué à réduire les distances inter-classes, ce qui peut aboutir à une lecture de la fin des classes sociales.
La moyennisation est un processus qui voit l'augmentation des classes intermédiaires ou moyennes progresser relativement aux autres couches sociales (populaires et supérieure). Historiquement, ce sont les Trente Glorieuses qui constitueraient le démarrage de ce processus dans les sociétés à économies de marché occidentales.
Cette tendance serait le résultat d'évolutions économiques (hausse du niveau de vie et des qualifications, recul des inégalités, progression du pouvoir d'achat) mais aussi sociales et culturelles comme l'homogénéisation des mœurs et des styles de vie. Cette évolution des traduirait par une perspective de mobilité sociale (intra et intergénérationnelle) et une réduction des tensions sociales entre les groupes dans la société. Elle validerait donc plus une vision horizontale de la stratification sociale plus qu'une vision conflictuelle (lutte des classes entre dominés et dominants).
Les français découvrent la société des loisirs :
https://www.dailymotion.com/video/x2mkxiq
Le sociologue Henri Mendras a visualisé ces évolutions par une représentation en toupie :
La circonférence la plus large de la toupie de Mendras illustre la tendance à l'homogénéisation et en tout état de cause, la large place ainsi dévolue aux catégories intermédiaires, favorisant ainsi la moyennisation.
Dans un contexte d’« élargissement des classes moyennes », peut-on encore parler d’une « lutte des classes » qui opposerait 2 pôles séparés aux intérêts antagonistes ?
=> Cette idée est contestée par Louis Chauvel dans « Le retour des classes sociales ? » (2001).
La fin des 30 glorieuses et la crise des années 80 ont remis en cause cette moyennisation au détriment des générations nées après les années 60. Celles qui les suivent ne connaissent pas forcément un destin similaire dans la mesure où elles sont entrées sur le marché du travail après la crise de 1974 : elles ont davantage connu le chômage de masse, la précarité professionnelle et sociale, la remise en cause de certains acquis sociaux (santé, retraites, services collectifs, ...). La société française connait une rupture inter-générationnelle qui frappe d’abord les classes populaires et moyennes.
DOCUMENT 10 : Un retournement historique
[Les générations] qui sont nées entre 1925 et 1950 ont connu l'expansion massive du salariat intermédiaire, des perspectives de mobilité ascendante historiquement exceptionnelles. […] L'émergence de la société salariale, le plein-emploi, la fin des paysans et des rentiers, l'allongement de la vie, la généralisation d'assurances sociales plus généreuses et, bien évidemment, l'impôt progressif ont ensemble contribué à l'élévation du plancher social et à l'abaissement du plafond, entre lesquels une grande classe moyenne […] a gagné en homogénéité. En revanche, les générations nées ultérieurement sont confrontées à un retournement historique. Elles ne se contentent pas de faire face à des salaires qui ont cessé de progresser depuis maintenant une génération entière (alors que ceux de leurs aînées continuaient de progresser) : elles connaissent en outre un degré d'inégalité supérieur à celui de leurs aînés au même âge. […] Simultanément, le déclin de la société salariale se mesure aux coûts de la vie spécifique selon l'âge : dans Paris intra-muros, un salaire annuel net gagné entre 30 et 35 ans permettait d'acheter 9 m2 en 1986, et seulement 4 aujourd'hui. […] Les jeunes aux revenus stagnants mettront au mieux deux fois plus de temps à acquérir le même bien.
Source : L. CHAUVEL, « Le malaise des classes moyennes », Problèmes politiques et sociaux,n° 938-939, La Documentation française, juillet-août 2007
Questions :
1) Présentez le document.
2) Le document comporte 2 parties. Repérer la phrase de coupure.
3) Relevez les critères qui permettent à l’auteur de parler de « retournement historique ».
Louis Chauvel : Génération mal partie
On assiste alors à une perte d’homogénéité des catégories sociales populaires et moyennes qui connaissent statistiquement plus le chômage, la précarité de l’emploi, le déclassement professionnel et des diplômes. Les distances intra-classes tendent à s’élargir. Dans ce contexte, il faut relativiser l’actualité de la moyennisation et celle du déclin des classes sociales.
https://www.cairn.info/revue-de-l-ofce-2001-4-page-315.htm#
La société française reste parcourue par de fortes inégalités économiques et sociales qui peuvent aboutir à des ruptures entre les classes sociales dans la société. Ces lignes de rupture peuvent entraîner des conflits et une contestation de « l’ordre dominant » dès lors qu’elles aboutissent à une prise de conscience des mécanismes qui les soutiennent. C’est la question de la « conscience de classe ».
=> Identifications subjectives à un groupe social : le recul de la conscience de classe ?
L’identité sociale d’un individu désigne tout ce qui permet de relier un individu à son groupe d’appartenance dans la société mais aussi de le différencier des autres groupes et individus : genre, âge, métier, revenus, …
Ces attributs catégoriels et statutaires forment souvent une identité « prescrite » ou assignée, dans la mesure où l'individu n'en fixe pas, ou pas totalement, les caractéristiques. Exemple : « je suis une fille » signifie tout un ensemble de normes, valeurs et statuts socialement déterminés.
On parle alors d’identité sociale « objective ».
Une identité sociale « subjective » réclame que l’individu adhère à l’identité qu’il se reconnaît avoir. Cette adhésion peut correspondre à l’identité objective mais elle peut aussi être variante. « Je suis une fille » mais je refuse le sexisme de certains rôles attendus.
Ici, Il ne s'agit donc pas d'une l'adhésion mécanique et stricte à un contenu invariant dicté par les normes sociales mais d’une dynamique d'aménagement permettant des divergences et des oppositions.
D’après Article « identité (sciences sociales) », wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Identit%C3%A9_(sciences_sociales)
L’identification subjective à un groupe* désigne le degré d’adhésion des individus à un groupe qu’ils estiment correspondre à leur identité sociale. Dans le champ des classes sociales, cette identification peut être ramenée à la notion de « conscience de classe ».
Pour Marx, le moment de la prise de conscience est capital puisqu'il permet de passer de la simple appartenance à un groupe homogène (classe en soi) à l'organisation de la classe sociale comme centre de la mobilisation pour défendre ses intérêts (classe pour soi). C’est la conscience de classe qui fait du travailleur un « prolétaire » et du capitaliste un « bourgeois ».
Analyser la conscience de classe revient à analyser la force du sentiment d’appartenir à une certaine classe sociale et donc d’en porter les revendications. Dans la société française actuelle, existe-t-il une conscience de classe qui validerait le concept de classe sociale ?
DOCUMENT 11 : Analyse du sentiment de classe en France
Questions – pour chacun des documents statistiques suivants :
1) Présentez mentalement le document.
2) Relevez la tendance centrale qu’il révèle.
3) Que peut-on en conclure quant au sentiment de classe dans la société française contemporaine ?
Sondage IFOP pour l'humanité. Les Français et la lutte des classes, Janvier 2013
Le sentiment d’appartenance à une classe sociale (en %)
Source : D’après SOFRES, L’État de l’opinion, 1996.
Pour 2002, CEVIPOF, Panel électoral français, 2002.
Note : À la question : « Avez-vous le sentiment d’appartenir à une classe sociale ? », le total des « oui » et des « non » ne fait pas systématiquement 100 % puisqu’il était possible de répondre : « Ne se prononce pas. »
Si on applique les critères de Marx pour définir une classe sociale, on peut souligner que la grande bourgeoisie et une partie de l’aristocratie ont développé une « conscience de classe » qui défend ses positions économiques, sociales, politiques et culturelles.
Par exemple, les stratégies de reproduction du capital social et culturel sont au cœur de l’éducation des enfants, notamment dans le cadre des « rallyes mondains ».
DOCUMENT 12 : La bourgeoisie, une classe mobilisée
La bourgeoisie se construit continûment. Les bourgeois travaillent sans cesse à conforter la classe bourgeoise. Les collectifs, tels que la « bourgeoisie », la « classe dominante » ou l'« oligarchie », ne sont pas utilisés ici seulement par facilité d'écriture. Par un travail toujours recommencé, la classe entretient les limites qui marquent ses frontières, instruit ses jeunes générations, se préserve des promiscuités gênantes ou menaçantes. Fondée sur la richesse matérielle, la bourgeoisie atteint le statut de classe pleine et entière, selon les critères marxistes, par cet effort constant pour se réaliser en tant que groupe social. La bourgeoisie existe ainsi en soi, par sa place dans les rapports de production, mais aussi pour soi, par la mobilisation qu'elle manifeste dans son existence quotidienne en vue de préserver et de transmettre cette position dominante.
Source : « Une classe mobilisée », Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, 2016
Questions :
1) Présentez le document .
2) Relevez tous les éléments du texte qui justifient le titre du document.
3) Que pouvons-nous en conclure quant au sentiment d’appartenance dans la grande bourgeoisie française ?
Neuilly.wmv
Extraits_deux sociologues à Chantilly (Pinçon et Pinçon-Charlot
Rallyes.avi - YouTube
Baisemain-parcours.wmv - YouTube
Conclusion
La vision de Marx reste en partie valide, car la bourgeoisie domine toujours la société, grâce à ses ressources économiques (Marx,Weber), mais aussi culturelles. Le renforcement des inégalités et le développement de la pauvreté et de la précarité redonnent de l’actualité à cette analyse. Pourtant, la conscience de classe a fortement reculé, surtout dans les milieux populaires (ouvriers, employés) et modestes, ce qui enlève de la pertinence à la vision marxiste et explique l’absence de lutte des classes. Mais cette absence de lutte a aussi d’autres raisons, notamment la moyennisation des conditions de vie et les possibilités d’ascension sociale, ainsi que la multiplication des critères d’inégalités, qui ne sont pas tous explicables par une logique de (lutte des) classes.
Cependant, ce recul de la dimension politique des classes sociales n’est-il qu’une parenthèse ? D’après Louis Chauvel, l’existence de classes sociales mobilisées obéit à un cycle historique. La situation actuelle se caractérise par une aggravation des inégalités qui pourrait déboucher vers un renouveau des « identités de classe », donc d’une conscience de classe partagée par tous les perdants du système économique et social actuel. Pourra-t-on, demain, parler à nouveau de classes sociales en France et dans les autres pays développés ?
D’après « Peut-on encore parler de classes sociales, aujourd'hui en France ? », Guy Démarest et Sylvain Louiche, IDEES, 2013
B) Individualisation et rapports de genre
=> Les facteurs d’individualisation : plus d’individus et moins de classes ?
L’individualisation* désigne le processus par lequel les individus acquièrent une capacité à se définir par eux-mêmes et non en fonction de leur groupe d’appartenance.
Historiquement, l’individualisation a d’abord pris la forme d’un lent processus d’émancipation : petit à petit, à partir du XVIIème siècle, en particulier sous l’effet de la division du travail et de l’urbanisation, les individus se sont émancipés des dépendances qui les liaient étroitement au collectif, qu’il s’agisse de la famille, du clan, de la communauté villageoise ou de la société dans son ensemble. Cependant depuis la deuxième moitié du XXème siècle, on assiste à une accélération de l’individualisation.
Pourquoi cette accélération du processus d’individualisation ?
Plusieurs facteurs sont souvent évoqués : entrée massive des femmes sur le marché du travail, extension du périmètre de l’État-providence qui, en organisant une solidarité anonyme et généralisée, a renforcé l’émancipation des individus, massification de l’enseignement et émergence des mass media qui ont contribué à diffuser les valeurs individualistes, etc. Aujourd’hui, l’usage des technologies de l’information et de la communication accompagne en même temps qu’il encourage un processus d’autonomisation croissante et de plus en plus précoce des individus.
Cette tendance à une forme d’« individualisme » accompagne la transformation des instances de socialisation : mutations de la famille, crise de l’école entre démocratisation et massification, remise en cause du rôle intégrateur du travail par l’individualisation des carrières et le développement du « précariat ».
Quel peut-être l’impact de cette individualisation sur l’approche en termes de classe sociales ?
La notion de classes au sens de Marx ou de Weber impliquent l’idée d’un collectif qui se structurent autour de critères communs définissant une identité du groupe. Or, l’individualisation qui se construit en marge ou contre les groupes institutionnalisés d’appartenance semble remettre en cause cette dimension collective : avec l'individualisation des parcours professionnels et la revendication au bien-être personnel, le sentiment d'appartenance et la participation aux mouvements collectifs s'estompent.
L'engagement dans une vision politique de la société où règnerait la "lutte des classes" semble contesté au profit d'une vision plus recentrée sur les destins individuels dans le lieu de travail ou dans la société.
La participation aux conflits et mouvements sociaux, à dimension politique ou collective, devient négociée et non de principe dès lors que l’appartenance au groupe est questionnée et non « mécanique ». L’individu peut adhérer ou non au collectif de lutte selon des intérêts définis personnellement voire même esquiver la participation tout en espérant la victoire des revendication (« passager clandestin »). Cette émergence du singulier et de l’individuel remet en cause la pertinence de la notion de classe pour analyser les sociétés contemporaines.
Sources utilisées :
« Les évolutions du lien social, un état des lieux », Yves Cusset, Dans Horizons stratégiques 2006, https://www.cairn.info/revue-horizons-strategiques-2006-2-page-21.htm
« Individualisation », Céline Béraud, Sociologie, Les 100 mots de la sociologie, 2012, http://journals.openedition.org/sociologie/1207
Questions sur ce texte :
1) Comment le processus d’individualisation émerge-t-il ?
2) Quels en sont les facteurs contemporains ?
3) Pourquoi l’individualisation questionne-t-elle la notion de classe sociale ?
=> Les rapports sociaux de genre : un renouveau du concept de classe ?
La notion de rapport social indique d'emblée que le monde social est une combinaison d'unité et de divisions, de cohésion et de conflits. Il met l'accent sur ce qui réunit les êtres humains vivant en société et sur ce qui les divise, les oppose. C’est une notion qui s’inscrit dans la tradition de l’œuvre de Marx puisqu’elle insiste sur les rapports de force et les hiérarchies sociales.
Dans cette approche, il s’agit d’appliquer le concept de classe aux rapports de domination entre « la classe des femmes » et celle des hommes. On peut parler de rapports sociaux de genre* pour désigner l’ensemble des interactions économiques, sociales et politiques entre les membres de la société qui engagent les rôles sociaux entre les sexes.
Pourquoi parler de domination ?
Hommes et femmes sont pris dans les rapports sociaux de sexe. Le concept de genre a été inventé initialement pour insister sur le fait que les hommes et les femmes résultent d’une fabrication sociale et qu’ils ne sont en aucun cas réductibles aux sexes biologiques. C’est son apport fondamental qui permet aussi de renouveler en profondeur l’analyse des classes sociales, car elles sont sexuées.
L’invention de la « nature féminine » en tant que catégorie biologique s’inscrit aussi dans le paradigme positiviste, dominant dans la deuxième moitié du XIXe siècle : les femmes étaient considérées par nature intellectuellement moins douées que les hommes et destinées aux rôles d’épouses et de mères. Au XXe siècle, les féministes ont montré que la domination d’un sexe sur l’autre se fonde sur une division sexuelle du travail qui assigne prioritairement les hommes à la sphère productive et les femmes à la sphère reproductive, s’appuyant sur la représentation d’une séparation entre le domaine public et la sphère privée de la reproduction. La sphère privée, familiale et domestique, est considérée comme non politique et régie par un ordre naturel.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, en Europe, les femmes sont hors de la citoyenneté politique et en situation de tutelle civile vis-à-vis de leurs époux et pères. Bien qu’elles aient aujourd’hui obtenu les droits civils et politiques, l’assignation des femmes au travail domestique et leur dépendance économique dans le cadre de l’institution du mariage sont encore décisives quant aux modalités de leur présence dans l’emploi et dans l’espace politique.
La division sexuelle du travail est le pivot autour duquel s’organise l’articulation des différents rapports sociaux. Le positionnement au sein d’un groupe dominant ou dominé entraîne des conséquences spécifiques pour les femmes, du fait de leur assignation au travail domestique au sein des groupes sociaux.
Les domaines de la domination
La sociologie des rapports sociaux de sexe se construit comme une sociologie de l’articulation : d’abord entre travail professionnel et travail domestique, entre production et reproduction, entre salariat et famille.
Une mobilisation pour l’émancipation
Les enjeux du féminisme matérialiste sont subversifs puisque l’horizon de lutte est d’abolir la division de l’humanité en classes de sexe. Cet horizon passe par un « travail d’émancipation », défini comme l’«expression de la puissance d’agir des dominé∙e∙s qui s’auto-émancipent collectivement » et la « destruction du pouvoir d’appropriation des dominants.
Du côté des dominants, la « haine de genre » — autrement dit certaines réactions d’agressivité parfois violentes des hommes envers les femmes — constitue une ressource supplémentaire lorsque les femmes ont des velléités émancipatrices.
Les résistances peuvent être individuelles, discrètes mais l’acte résistant est indissociable de l’enjeu du passage au collectif. Ce passage se traduit par le militantisme (syndicats, partis politiques, associations, mouvements sociaux) qui peut prendre la forme de campagnes d’informations, de manifestations, de soutien aux victimes de la domination et de pressions pour modifier l’agenda politique au profit de ces revendications.
La notion de « mouvement social sexué » est ici fondamentale : elle « signifie que les rapports sociaux de sexe imprègnent en profondeur tous les mouvements sociaux ». On pourra parler de féminisme* : ensemble de mouvements et d'idées philosophiques qui partagent un but commun : définir, promouvoir et atteindre l'égalité politique, économique, culturelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. Le féminisme a donc pour objectif d'abolir, dans ces différents domaines, les inégalités homme-femme dont les femmes sont les principales victimes, et ainsi de promouvoir les droits des femmes dans la société civile et dans la vie privée.
Questions sur ce texte :
1) Pourquoi la sociologie de l’articulation des rapports sociaux de genre s’inscrit-elle dans la postérité de Karl Marx ?
2) Que signifie l’expression «L’invention de la nature féminine » ?
3) Pourquoi les femmes peuvent être considérées comme des « dominées » dans nos sociétés ?
4) Comment parvenir à l’émancipation ?
5) Les rapports sociaux de genre contredisent-ils l'approche marxiste de la lutte des classes ?
Sources utilisées :
« La sociologie de l’articulation des rapports sociaux » Entretien avec Roland Pfefferkorn, IRESMO, 2012.
https://iresmo.jimdofree.com/2012/05/11/la-sociologie-de-l-articulation-des-rapports-sociaux/
« Quelques notions pour penser l’articulation des rapports sociaux de « race », de classe et de sexe », Francesca Scrinzi, Les cahiers du CREDEF, 2008, https://journals.openedition.org/cedref/578
« La sociologie des rapports sociaux de sexe : une lecture féministe et matérialiste des rapports hommes/femmes », Xavier Dunezat, Dans Cahiers du Genre, 2016, https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2016-3-page-175.htm
BILAN : Les classes constituent-elles encore un outil pertinent pour expliquer la société française ?
DEBATS SUR L’ACTUALITE DE LA NOTION DE CLASSE |
OUI, les classes restent un outil PERTINENT |
MAIS, cet outil semble CONTESTE |
A) Distances inter-et intra-classes |
Distances intraclasses : une société qui connait de fortes inégalités dans les groupes sociaux |
Distances interclasses : La moyennisation a réduit les différences entre les classes sociales |
A) identifications au groupe |
Les classes de la haute-bourgeoise et de l’aristocratie développent une conscience de classe pour maintenir leur position |
Le recul de la conscience de classe fragilise la notion de classe comme outil de description de la société |
B) L’individualisation |
|
Cette émergence du singulier et de l’individuel remet en cause la pertinence de la notion de classe (collectif de lutte) |
B) Les rapports sociaux de genre |
Les revendications quant au genre s’exprime en rapport de dominé.es / dominants (« patriarcat ») |
Les luttes sociales s’expriment hors de la sphère strictement professionnelle au profit des revendications liés au genre |
AU BAC, quelles question peut-on vous poser ?
comprendre que la pertinence d’une approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française fait l’objet de débats théoriques et statistiques :
=> La notion de classe est-elle encore pertinente au regard de l’évolution des distances inter-et intra-classes ? SP122A
=> La notion de classe est-elle encore pertinente au regard de l’articulation avec les rapports sociaux de genre, SP122B
=> La notion de classe est-elle encore pertinente au regard des identifications subjectives à un groupe social, SP122A
=> La notion de classe est-elle encore pertinente au regard de la multiplication des facteurs d’individualisation. SP122B